L comme le naufrage sur la Lanterne

Ma famille est originaire d’un petit village de Franche-Comté, au nom bucolique de Breurey-lès-Faverney. Plusieurs branches de mon arbre généalogique y ont vécu. Il faut dire qu’on ne voyageait pas beaucoup dans les familles de cultivateurs. De plus, les moyens de locomotions avant les années 1900 étaient très limités, tout se faisait à pied ou en charrette.

Moi-même, j’ai grandi à 5 km de ce village et y est même suivi ma première année de maternelle. J’ai toujours ressenti une certaine tranquillité dans ce village quand j’allais rendre visite à mes grands-parents.

Or, quelle surprise quand je suis tombée sur ce passage du registre paroissial datant du 30 Mai 1746. Dix-sept personnes sont mortes noyées ce lundi de la Pentecôte ! Qu’est ce qui a bien pu pousser ces familles à voyager dans une barque sur la rivière la Lanterne ? Etait-ce usuel de se déplacer en barque pour ces villageois ? La Lanterne où je me baignais enfant dans un bras d’eau, si paisible !!

Après plusieurs heures de recherche, je ne trouve aucun article sur ce fait divers. Cependant je m’interroge. Où se rendaient ces gens ? Sûrement à Faverney, bourgade voisine, traversée par cette rivière. Le Lundi de la Pentecôte… Tiens, cela me rappelle la foire de Faverney où j’allais chaque année faire des tours de manèges avec mes cousins-cousines. Peut-être que cette foire existe depuis des centaines d’années ?

Je décide d’axer mon investigation sur la foire de la pentecôte. L’article ci-dessous fait l’éloge de la foire de la pentecôte s’étant déroulé à Dôle dans le Jura et le journaliste se demande si cette foire est en relation avec le « miracle de l’hostie de Faverney ».

Mais qu’est-ce donc que ce miracle ? Le patriote de la Côte d’or publie le 31 mai 1831 un article sur la procession de la pentecôte à Dôle ayant eu lieu cette même année.

D’après cet article l’origine évoquée de cette manifestation serait en lien avec un feu « ayant pris dans la chapelle de Faverney ». Lors de cet incendie, le saint sacrement était exposé sur l’autel et apparemment seul la sainte hostie serait restée intacte.

Dole et Faverney sont à plus de 130 km. Ce lien est ténu.

J’apprends dans le quotidien La lanterne (ça ne s’invente pas !) du 24 août 1878 qu’une nouvelle ferveur anime la population locale et relance le « pèlerinage à Notre Dame de Faverney, en l’honneur de son hostie incombustible ». L’auteur relate, non sans certaine ironie, cette même histoire d’incendie et de miracle ayant eu lieu dans un passé incertain.

Plus surprenant encore, un nouvel incendie se serait déclaré dans cette même église en 1875 et le curé de la paroisse aurait stoppé tout net les efforts d’un israélite venu éteindre le feu, le curé « objectant l’inutilité des secours, la providence se chargeant à l’œil des fonctions de pompier ». Apparemment l’incendie se serait étouffé tout seul et cet incident a réamorcé la foi régionale.

La Lanterne du 24 août 1878 (Retronews, BnF)

Je trouve dans le journal L’autorité du 27 avril 1908, l’histoire complète du miracle de l’hostie de Faverney, dans un article édité à l’occasion du tricentenaire de la foire de la pentecôte. Cet incendie a donc eu lieu réellement le lundi de la Pentecôte de l’année 1608. Par la suite, le lien entre les villes de Dôle et de Faverney est précisé dans l’Album Dolois du 4 juin 1843. Une des hosties miraculeuses a été transféré à Dôle à la demande de l’archiduc Albert, prince souverain des Pays Bas et de Franche Comté. A l’arrivée des chanoines à une quinzaine de kilomètres de Dôle, un cortège se mit en place pour les accompagner sur la fin du trajet.

Finalement, le naufrage sur la Lanterne a-t-il eu lieu lors du déplacement de 15 villageois se rendant à un pèlerinage en l’honneur de la miraculeuse hostie de Faverney, sauvée des flammes ?